1945 : la guerre vient de se terminer et l’Europe panse ses plaies … La première guerre mondiale a bouleversé l’ordre économique et social, la seconde a achevé le grand désordre …
Entre les deux, malgré les progrès immenses de la mécanique, certains nostalgiques, certains « conservateurs » n’ont cessé d’atteler, les uns par habitude, d’autres par nécessité, bien peu envisageant alors l’attelage comme un loisir ou une compétition ! Mais après 1945, tout semble presque fini, voitures brûlées ou remisées, chevaux devenus « moteurs », l’art du menage disparaissant avec les anciens au profit de la conduite automobile et des sports mécaniques …
Ce fut alors un grand silence de vingt ans, durant lequel quelques chevaux agricoles faisaient encore résonner leurs fers, de moins en moins fortement. Seules, quelques très rares personnes continuaient d’atteler, totalement ignorées et généralement considérées comme des originales ! J’en faisais partie … Hélas, d’années en années, les anneaux d’attache devant la poste ou la boulangerie disparaissaient, les chemins devenaient des routes sentant l’essence, le bruit des camions effrayait les chevaux …
Et puis, comme le printemps arrive après le long hiver, quelques voix se firent entendre, venant notamment des Haras Nationaux, où l’on attelait encore, et rejoignant celles de quelques meneurs intéressés, des contacts se nouèrent, on ébaucha des projets … J’y étais, quant à moi, peu réceptif à l’époque, découragé par les destructions successives de nos belles écuries et remises, brûlées lors de la première guerre ou pillées par l’envahisseur lors de la seconde. Occupé par d’autres tâches, je suivis néanmoins avec intérêt les efforts de mon voisin, monsieur Adrien Drion, Directeur du Haras de Compiègne, pour reconstituer un noyau d’utilisateurs d’attelages. Il amena quelques personnes à le suivre, Messieurs Camus et Dewavrin, entre autres …. Ensemble, ils décidèrent de créer l’Association Française d’Attelage, qui à ma connaissance, fut la première association d’attelage en tant que telle en France.
Nous étions en 1973.
Le prince Philip, alors efficace président de la Fédération Equestre Internationale, venait de mettre au point le premier règlement des concours d’attelage, calqué sur celui du concours complet. L’AFA prit le train en marche et organisa dès lors ses premiers concours avec les moyens et les voitures de l’époque. Très vite, l’environnement commercial comprit l’intérêt de la chose et développa des matériels de mieux en mieux adaptés à ce genre de compétition, harnais, voitures, chevaux …. L’ensemble progressa, le niveau des meneurs s’améliora, de même que la qualité des chevaux, et le tout prit un tour très professionnel, raison pour laquelle l’AFA préféra, en 1987, céder la gestion des compétitions sportives à la Fédération Française Equestre.
Et de nouveau, le silence retomba sur le bel attelage d’antan ….
Au bout de deux ans, je décidai de convaincre quelques amis de réveiller la Belle au Bois dormant et il fallut encore quelque temps pour voir notre association renaître avec une vigueur décuplée par un long repos !
Son nouveau comité – constitué alors de Pierre de Chézelles, Dominique Falque, André Grassart, Philippe Pommery et moi-même – envers lesquels j’ai une grande reconnaissance, comprit l’intérêt d’un attelage pur et respectueux de la tradition, l’intérêt de le remise sur la route d’un magnifique parc hippomobile restauré, l’intérêt de créer des épreuves adaptées à ce type de voitures et aux meneurs peu intéressés par la compétition seulement sportive.
Ce comité établit un règlement des concours de tradition, forma des juges et des délégués techniques, autant pour assurer le bon ordre des épreuves que pour aider les nouveaux meneurs et les organisateurs de ces nouveaux rassemblements d’attelage … et c’est ainsi que revécut l’attelage de tradition depuis bientôt 20 ans.
Devant le succès du concept et sensible aux encouragements du prince Philip, auquel l’attelage doit tant, l’attelage de tradition dans la forme initiée par l’AFA, se développe à travers l’Europe et même le monde, encadré par l’Association Internationale d’Attelage de Tradition créée en 2007. A ce jour, environ 12 000 attelages de toutes catégories ont pris part à un concours de tradition à travers le monde, de l’Europe à la Tasmanie, en passant par l’Amérique, et des centaines de milliers de spectateurs ou téléspectateurs ont pu admirer leurs évolutions.
L’esprit de l’AFA reste inchangé : dévouement et amour désintéressé de l’attelage, attachement indéfectible aux voitures anciennes et aux anciens métiers qui leur permettent d’être conservées, travail, fair play, amitié et convivialité …
Le résultat ?
Un niveau de menage sans cesse amélioré, la remise en service de voitures d’une excellente qualité, un intérêt général grandissant pour le bel attelage !
Notre sentiment ?
Aucune fierté mal placée mais beaucoup d’émotion à la vue du plaisir des meneurs à se rencontrer de par le monde, beaucoup de reconnaissance à tous ceux qui ont mis leurs grandes compétences au service de l’AFA pour permettre à l’attelage de tradition de revivre, beaucoup de reconnaissance aussi à nos anciens et à tous les dévouements actuels !
Christian de Langlade